La consommation de cannabis associée à des modifications anatomiques du cerveau

Medscape France - 4 fév. 2014

Chicago, Etats-Unis – Une étude américaine a montré une corrélation entre une consommation quotidienne de cannabis sur le long terme et des changements structurels anormaux au niveau du cerveau, comparables à ceux observés chez des patients atteints de schizophrénie [1]. Ces modifications ont été associées à une dégradation prolongée de la mémoire de travail.
De précédentes études ont déjà établi une corrélation entre l’usage de cannabis et l’apparition d’une schizophrénie chez les personnes prédisposées. 
Dans cette nouvelle étude, publiée dans Schizophrenia Bulletin, les chercheurs ont voulu observer par imagerie d’éventuelles répercussions sur l’anatomie du cerveau et évaluer l’effet sur la mémoire.



Le Dr Matthew Smith et son équipe de la Northwestern University Feinberg School of Medicine, à Chicago, ont mené leur étude sur un groupe d’adolescents ayant consommé quotidiennement du cannabis pendant trois ans.

Déclin neuronal

Au total, 97 adolescents ont été inclus. Ils avaient commencé à fumer du cannabis entre 16 et 17 ans. Au moment de l’inclusion, ils  avaient stoppé leur consommation depuis deux ans. Aucun n’avait abusé d’une autre drogue.
Parmi les participants, 54 étaient en bonne santé, mais 10 d’entre eux avaient développé des troubles en lien avec la consommation de cannabis (cannabis use disorder =CUD). Les autres adolescents étaient atteints de schizophrénie. Parmi eux, 28 avaient été confrontés à des CUD.
Les CUD sont considérés comme des troubles ayant un impact significatif sur la vie du consommateur. Ils peuvent se manifester par des difficultés scolaires, des troubles affectifs, de l’anxiété ou de la dépression et sont généralement en lien avec l’apparition d’une dépendance.
Une imagerie par IRM a révélé « des différences de formes » au niveau du stratium, du globus pallidus et du thalamus chez les participants avec CUD, qu’ils soient en bonne santé ou atteints de schizophrénie. Ces structures cérébrales liées à la mémoire se sont rétrécies, suggérant un déclin neuronal, notent les chercheurs.
Ces modifications du thalamus et du stratium ont été associées à de mauvais résultats aux tests évaluant la mémoire de travail, en charge à la fois du traitement et du maintien des informations à court terme, et à une apparition précoce des CUD.
Les anomalies cérébrales et les troubles de mémoire qu’ils ont observés à la fin de l’étude étaient encore persistants deux ans plus tard, alors que les utilisateurs avaient stoppé leur consommation, précisent les auteurs.
Ils soulignent que la plupart des adolescents ayant une schizophrénie avaient été confrontés à des CUD, bien avant l’apparition de la maladie, ce qui suggère que la consommation de cannabis sur le long terme peut contribuer au développement d’une schizophrénie sous-jacente.

Pas de lien de cause à effet


« Si une personne a des antécédents familiaux concernant la schizophrénie, l’abus de marijuana augmente le risque de développer la maladie », affirme le Dr Smith, dans un communiqué.
Une consommation abusive de marijuana « peut avoir de graves répercussions chez les jeunes développant ou ayant développé des troubles mentaux », ajoute le Dr John Csernansky, co-auteur de l’étude.
« Cette étude est l’une des premières à révéler que l’usage de marijuana peut contribuer à des modifications dans la structure du cerveau, associées au développement de la schizophrénie », a-t-il ajouté.
Les chercheurs soulignent que les données ne permettent pas d’établir un lien de causalité.
Cependant, alors que l’usage du cannabis à des fins récréatives et médicinales tend à être légalisé aux Etats-Unis, l’impact potentiel du cannabis sur les structures du cerveau et la mémoire de travail doit être, selon eux, pris en considération.
De plus, « nous avons besoin de mener davantage de recherches pour comprendre les effets de la marijuana sur le cerveau », ajoute le Dr Smith.
« Il serait préoccupant qu’un adolescent ou un jeune adulte commence à consommer du cannabis, bien avant de savoir s’il appartient à un groupe à risque », affirment les auteurs.
Interrogé par Medscape Medical News, le Dr Matthijs Bossong, de l’institut de psychiatrie du Royal College de Londres, a souligné la qualité de l’étude. « La plupart des études utilisant l’IRM montrent des anomalies anatomiques entre les groupes sans mentionner l’impact fonctionnel ».
Selon lui, « l’association entre le développement d’anomalies structurelles [chez les usagers de cannabis] et la dégradation de la mémoire de travail est la vraie nouveauté révélée dans cette publication ».
« Il est encore difficile de savoir si le cannabis a un impact plus fort chez les patients atteints de schizophrénie que sur les patients contrôle en bonne santé. Cela est observé, mais pas encore prouvé statistiquement », ajoute le Dr Bossong.
Concernant le débat sur la dépénalisation du cannabis, il estime qu’il faut prendre en compte cette étude, comme celles ayant déjà montré les effets néfastes sur le cerveau d’une trop forte consommation de cannabis.

Ces recherches ont bénéficié du financement du National Institute of Mental Health et du  the National Institute on Drug Abuse. Les auteurs et le Dr Bossong n’ont pas déclaré de conflits d’intérêt.


Référence :

Smith M, Cobia D, Wang L, Cannabis-related working memory deficits and associated subcortical morphological differences in healthy individuals and schizophrenia subjects, Schizophrénia bulletin, publication en ligne du 15 décembre.

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