Addiction au travail : les médecins en première ligne

Medscape France - 26 oct. 2015

Paris, France – De survenue insidieuse, l’addiction au travail – ou workaholism – s’installe lorsque les préoccupations professionnelles envahissent la vie quotidienne. Addiction propre, raisonnable, elle peut néanmoins avoir des conséquences très négatives, depuis la dépression jusqu’au burn-out, et s’accompagne souvent d’une prise d’alcool, de tabac ou de psychostimulants comme dopants. Le professionnel de santé est en première ligne pour repérer les symptômes chez ses patients… à moins qu’il ne soit lui-même directement concerné.


Une addiction sans substance

« Les psychanalystes parlent de cette toxicomanie du travail comme une manière d’échapper à ses angoisses. Mais ce qui est intéressant avec cette addiction, c’est que justement elle ne présente pas comme telle. C’est très particulier : il n’y a pas de produit, c’est une addiction sans substance. Les patients arrivent chez le médecin épuisés, avec une hypertension, un stress physique, un stress psychique. Ils ont des céphalées, parfois des céphalées de tension, des troubles du sommeil… Il va falloir aller chercher l’addiction, elle n’est pas annoncée spontanément » a expliqué le Pr Michel Lejoyeux (psychiatre et addictologue, Bichat-Beaujon) lors des Entretiens de Bichat 2015 .

 Et pourtant les critères de l’addiction sont là : les accros du boulot ne peuvent s’empêcher de travailler et en expérimentent les aspects négatifs comme le sevrage, ce manque terrible en cas d’interruption de l’activité professionnelle : « on reconnait les addicts sur la plage, ils ont leurs ordinateurs, ils pestent contre la wifi, s’amuse le psychiatre. Il y a un critère nord- américain très parlant : « combien de kilomètres seriez-vous prêts à faire sur la plage pour trouver une borne wifi ? »

Les drogués du travail ne sont pas juste des personnes qui travaillent beaucoup, mais pour qui existe une dépendance à l’activité professionnelle. « Dans le worhalolisme, il y a plus de présentéisme que de productivité ». Car paradoxalement, le workaholic n’est pas forcément surmené. Sa frénésie du travail est plutôt une peur foncière de l’inactivité, de laisser libre cours à ses pensées…D’ailleurs, pendant ses loisirs, l’accro au boulot préfère des activités sérieuses, par peur de perdre son temps. Soit il reste au travail, soit il s’adonne au bricolage, au sport, mais de façon intensive car les moments de loisir deviennent des moments d’angoisse ; ils sont donc évités ou soumis à un régime de compétitivité - besoin d’efficacité et de réussite oblige.

Les soignants, workaholics en puissance ?
Médecins, dentistes, professions paramédicales (infirmières notamment), mais aussi les hommes d’affaire seraient les plus exposés [2]. « Les médecins, c’est bien vu quand ils sont addicts au travail, un médecin généraliste qui vous dit « j’ai une vie tranquille, je ne suis pas surmené, vous l’envoyez en consultation tout de suite ». En revanche, s’il est épuisé et qu’il ne sait pas quand prendre ses vacances, vous l’écoutez à peine, c’est un comportement normal. Un bon docteur est un addict au travail » a plaisanté le Pr Lejoyeux devant un public acquis [1].
Le frisson du trop-plein d’activités

« Les workaholics répondent à plusieurs types de profil. Il y a l’infatigable, celui qui ne se repose pas, pour qui le week-end est une hérésie, continue le Dr Lejoyeux. Le psychanalyste Sandor Ferenczi, élève et ami de Freud, décrivait au début du siècle la « névrose des dimanches » pour évoquer l’angoisse de la vacuité du jour de repos. Certains arrivent eux-mêmes à créer leur surmenage, en désorganisant leur agenda, ou en procrastinant. C’est le cas du workaholic boulimique qui prépare son topo la veille, va y passer la nuit et a besoin de ce frisson du trop-plein d’activités. » Il va sans dire que la mise à disposition des outils technologiques récents (téléphonie mobile, Internet) et tout ce qui nous met en permanence en lien avec le travail a forcément aggravé les choses.

La prise en charge médicale du dépendant au travail passe par une recherche d’une comorbidité addictive. « Je n’ai jamais rencontré de workaholic qui n’ait pas éprouvé, à un moment ou un autre, le besoin de se doper, de se stimuler avec de l’alcool, du tabac, voire pire de la cocaïne, ou des psychostimulants. C’est une évolution imparable » affirme le clinicien. La deuxième chose, c’est de rechercher une dépression, cause ou conséquence de l’addiction au travail. « Le déprimé qui ne croit pas en lui peut utiliser l’addiction au travail comme un syndrome de l’imposteur (« je suis peut-être nul mais je travaille tellement qu’à force, ça veut dire quelque chose »). Mais on peut aussi faire face à des vrais syndromes d’épuisement, de burn-out » considère l’orateur.

Le traitement psychothérapique fait principalement appel à la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) et sera basé sur l’écoute, la définition de priorités, la substitution (quand on ajoute une activité, on en enlève une), l’évaluation du temps nécessaire, la connaissance de ses cycles de concentration…
Pour savoir si vous êtes accro au boulot, répondez en ligne aux 25 questions du " Work Addiction Risk Test" (WART), mis au point par le psychothérapeute américain Bryan Robinson en 1989 et disponible sur son site.


REFERENCES :
1 - Lejoyeux M. Addiction comportementale au travail. Entretiens de Bichat, 8 octobre 2015.
2 - Ades J, Lejoyeux M. Encore plus !: Jeu, sexe, travail, argent. Ed Odile Jacob, 2001.

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