Normaliser les taux de dopamine pour réduire la dépendance à l’alcool

Medscape - 17 novembre 2015

Stéphanie Lavaud
Stockholm, Suède – Les chercheurs du Karolinska Institut et de l'Académie de Sahlgrenska en Suède pensent avoir trouvé un nouveau traitement efficace pour lutter contre la dépendance à l'alcool et se disent très optimistes quant à son potentiel. Ils viennent en effet de montrer que le OSU6162, un modulateur dopaminergique, est capable, d’une part, de réduire l’envie irrépressible de boire chez les personnes alcoolo-dépendantes [1]. Un effet qui serait dû à la normalisation des taux de dopamine, comme l’a montré une deuxième étude menée chez des rats alcoolisés pendant plusieurs mois [2]. « Les résultats de nos études sont prometteurs, mais il y a de beaucoup de chemin à faire avant que nous ayons un médicament commercialisable, » a résumé avec prudence la chercheuse Pia Steensland, co-auteur des deux études.


Dopamine, alcool et circuit de la récompense
Parmi les pistes actuellement à l’étude dans l’alcoolo-dépendance, les chercheurs suédois ont décidé de suivre la voie dopaminergique, et ce, bien que l’utilisation d’antagonistes de la dopamine (comme les neuroleptiques) n’ait pas véritablement fait ses preuves du fait d’effets indésirables sévères (anhédonie, réactions extrapyramidales) résultant d’une inhibition dopaminergique excessive. Seuls le modafinil (Modiodal®) – qui bloque la recapture de la dopamine – et l’aripiprazole (Abilify®) – agoniste partiel des récepteurs dopaminergiques D2 et D3 – ont montré une certaine efficacité sur la prise d’alcool et l’envie irrépressible d’en consommer.

Les études d'OSU6162 sont fondées sur la connaissance de la façon dont le système de récompense du cerveau nous pousse à œuvrer dans l'intérêt de notre propre survie. L'alcool (comme les autres substances addictives) agit sur le cerveau en induisant le relargage de dopamine par le système de récompense du cerveau à des niveaux plus élevés que la normale, produisant ainsi une sensation de douce euphorie. En associant cette sensation de bien-être et l’ingestion d’alcool, la mémoire fait en sorte que nous répétions ce comportement. Cependant, avec l’augmentation de la consommation d’alcool, ce circuit de la récompense est désensibilisé et de moins en moins de dopamine est relarguée. Avec du temps, des volumes plus grands d'alcool sont nécessaires pour atteindre les niveaux de base.

Désir de consommation d’alcool moins marqué
 
Les chercheurs suédois ont récemment identifié le OSU612 comme un nouveau traitement potentiel de la dépendance alcoolique qui atténuerait la consommation volontaire d’alcool, l’ingestion d’alcool, le désir d’alcool et la réinstauration de la consommation chez des rats alcoolisés sur le long terme [3]. Sur la base de ces résultats prometteurs, ils ont donc évalué les effets de OSU6162 chez des individus alcoolo- dépendants dans une phase II contrôlée contre placebo [1]. L’étude publiée dansEuropean Neuropsychopharmacology a inclus 56 individus âgés de 20 et 55 ans, remplissant les critères du DSM-IV de la dépendance à l’alcool et ayant au moins 45 journées de forte consommation (soit au minimum 4 à 5 boissons standards de 12 g d’alcool par boisson, pour les femmes et les hommes respectivement) au cours des 90 derniers jours calendaires, mais n’ayant pas bu au cours des 4 à 14 jours avant l’inclusion dans l’étude. Etaient exclus, l’addiction à d’autres substances à l’exception de la nicotine, la schizophrénie, le trouble bipolaire, la dépression sévère et des antécédents cardiaques.
Les participants ont été traités pour moitié soit avec le OSU6162, soit avec un placebo pendant quinze jours durant lesquels ils pouvaient boire autant qu’ils le voulaient. Après quoi, les deux groupes ont été exposés aux différentes situations d’incitation permettant d’évaluer leur état de manque pour l'alcool.
Aucune différence n’est apparue entre les deux groupes après stimulation par des messages (cue-induced craving). En revanche, le groupe sous OSU6162 a ressenti un désir de consommation d’alcool moins marqué que le groupe placebo après stimulation de l’envie de boire par amorçage d’une boisson alcoolisée (priming-induced craving). Concrètement, le groupe traité n’a pas apprécié la première gorgée d’alcool autant que le groupe placebo. Et après avoir bu la boisson alcoolisée, les participants sous OSU6162 ont éprouvé une envie moindre de boire à nouveau par rapport au groupe placebo.
Deux autres résultats sont à signaler : ce sont les personnes qui ont le taux d’impulsivité le plus élevé, donc vraisemblablement ceux qui sont le plus à risque de rechute après une période d'abstinence, qui ont le mieux répondu au OSU6162. Par ailleurs, les participants ont rapporté peu d’effets secondaires, ce qui est rare avec les modulateurs habituels de la voie dopaminergique.
OSU6162, un « stabilisateur de monoamines » 

Le OSU6162 appartient à une classe de composés qui a été appelée « stabilisateurs de dopamine » en raison de leur capacité à moduler les comportements dépendants de ce neurotransmetteur. La molécule a été étudiée dans un certains nombres de pathologies psychiatriques comme la maladie de Huntington ou encore la fatigue psychique qui suit les accidents vasculaires et les traumatismes cérébraux. Des étudesin vitro ont montré que, comme l’aripiprazole, le OSU6162 agit comme un agoniste partiel des récepteurs D2. Il semblerait que la molécule agisse aussi comme un agoniste partiel des récepteurs sérotoninergiques, ce qui indiquerait que le terme de « stabilisateurs de monoamines » soit plus approprié pour cette classe de composés.

Déficit en dopamine contrecarré

Une deuxième étude publiée en même temps dans Addiction Biology mais menée chez des rats Wistar ajoute à la compréhension de la façon dont fonctionne OSU6162 dans le cerveau [2]. Elle montre que des rats qui volontairement ont absorbé l'alcool pendant presque une année (10 mois) ont des niveaux de dopamine plus faible dans leur circuit de la récompense que les rats qui n'avaient jamais bu l'alcool.
Plus intéressant encore, quand les rats « alcoolisés » ont été traités avec le OSU6162, la substance a semble-t-il contrecarré le déficit en dopamine dans le noyau accumbens, point névralgique du circuit de la récompense dans le cerveau. Des résultats qui corroborent une précédente étude qui avait montré que le OSU6162 (aux même doses que dans cette étude) limite le comportement addictif chez les rats alcoolisés [3] et de fait suggéré que la molécule avait un potentiel de médicament contre l’alcoolo-dépendance.
« Nous pensons pour cette raison que le OSU6162 peut réduire l'état de manque d'alcool chez les individus dépendants en ramenant les niveaux de la dopamine régulés à la baisse par l’alcool dans le circuit de la récompense à un fonctionnement normal » a déclaré Pia Steensland [4].
En résumé, cette étude de phase II chez des individus alcoolo-dépendant montre que le stabilisateur de momoamine OSU6162 est sûr et bien toléré et que, dans un contexte expérimental, il diminue le goût pour l’alcool et l’envie irrépressible de boire après amorçage par une boisson alcoolisée.
« Les effets semblent dépendre du degré d’impulsivité des individus, ce qui met en avant l’importance de « phénotyper » les personnes avec une forte impulsivité de base quand on évalue les agents dopaminergiques chez les individus alcoolo-dépendants » considèrent les auteurs.
Bien sûr, une étude de plus grande envergure contre placebo est désormais nécessaire pour savoir si le OSU6162 viendra à terme enrichir l’arsenal des traitements contre la dépendance à l’alcool.
OSU6162, la molécule du Prix Nobel de médecine en 2000
Pour l’anecdote, les droits du OSU6162 appartiennent à Arvid Carlsson, professeur émérite de l’Académie Sahlgrenska en Suède, et lauréat du Prix Nobel de médecine en 2000 pour ses travaux sur la dopamine dans le cerveau [5]. Son équipe continue à développer la molécule et il est, à 92 ans, co-signataire de l’étude chez l’homme [1].


REFERENCES:
1.    Khemiri L, Steensland P, Guterstam J et al.The Effects of the Monoamine Stabilizer (-)-OSU6162 on Craving in Alcohol Dependent Individuals: A Human Laboratory Study.European Neuropsychopharmacology 2015, DOI: 10.1016/j.euroneuro.2015.09.018
2.    Feltmann K, Fredriksson I, Wirf M, et al. The Monoamine Stabilizer (-)-OSU6162 Counteracts Down-Regulated Dopamine Output in the Nucleus Accumbens of Long-Term Drinking Wistar Rats . Addiction Biology 2015, DOI: 10.1111/adb.12304
3.    Steensland P, Fredriksson I, Holst S et al. The monoamine stabilizer (-)-OSU6162 attenuates voluntary ethanol intake and ethanol-induced dopamine output in nucleus accumbens. Biol. Psychiatry 2012 Nov;72(10):823-31
4.    One step closer to a new drug for alcohol dependence . Karolinska Instituitet. 14/10/2015.
5.    Arvid Carlsson - Nobel Lecture - Nobelprize.org

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