Cannabis : « légaliser intelligemment pour fumer moins et mieux »

Medscape - 19 janvier 2016

Stéphanie Lavaud
Paris, France – « Alors que depuis la loi Evin du 10 janvier 1991 la consommation par habitant des 2 principales drogues légales en France a diminué de 50% pour le tabac et de 25% pour l’alcool, le statut pénal du cannabis est associé à une augmentation de 20% de la consommation de cannabis chez les jeunes » a rappelé le Pr Bertrand Dautzenberg lors d’une conférence de presse [1]. Autre paradoxe : « la France est championne d’Europe de la consommation de cannabis (source : Eurobaromètre 2014) », alors qu’elle est bien moindre aux Pays-Bas, où la législation est beaucoup plus légère. Sans compter que les Français fument la forme la plus toxique du produit.


Au vu des risques pour la santé, et en particulier respiratoire, du cannabis, et de la dépendance tabagique auquel il est associé, le pneumologue entend ouvrir le débat sur la question du mode de consommation de ce produit dans le cadre d’une stratégie de réduction des risques. En clair, il prône une légalisation encadrée, « non pas, bien sûr, pour fumer plus mais pour fumer moins et mieux ».

Toux, bronchites chroniques, expectorations et gêne respiratoire

Au-delà de ses effets avérés sur le système nerveux central, le cannabis est délétère pour le poumon. Toux, bronchites chroniques, expectorations et gêne respiratoire constituent la forme la plus répandue des effets du cannabis sur l’appareil respiratoire, du fait de l’irritation des grosses bronches. Une gêne qui concerne les fumeurs réguliers de cannabis. « Ce phénomène est comparable aux méfaits provoqués par les cigarettes brunes majoritairement fumées en France il y a une trentaine d’année, qui faisaient tousser et cracher » compare le pneumologue.

BPCO -L’intensité du développement d’une BPCO (broncho-pneumopathie obstructive chronique) avérée sur les épreuves fonctionnelles respiratoires et sur les pneumothorax est, quant à elle très variable selon les études, du fait en particulier des incertitudes sur l’intensité de l’exposition et de la co-exposition à la fumée du tabac.

Asthme -Sur l’asthme, l’effet peut-être trompeur. Un fumeur peut, dans un premier temps, avoir le sentiment de mieux respirer – le THC ou tétrahydrocannabinol étant un bronchodilatateur. « Un effet trompeur voire dangereux, prévient le Pr Dautzenberg, dans la mesure où, très vite, se manifeste une exacerbation des crises d’asthme du fait des particules irritantes de la fumée. »

Cancer du poumon -Plus difficile en revanche d’établir un lien direct avec les cancers du poumon. Les résultats des études sur le risque de cancer du poumon sont divergents. Le plus plausible est qu’il existe un doublement du risque à partir de 20 joints/années (l’équivalent d’1 joint par jour pendant 20 ans ou 4 joints/j pendant 5 ans).

Baisse de l’immunité -S’il est un point sur lequel tout le monde s’accorde, c’est la diminution des défenses immunitaires du système respiratoire. Affaibli, celui –ci est plus vulnérable aux virus et autres infections, en particulier respiratoires hautes et basses. « Le risque infectieux est clairement augmenté ».

En France, la pire façon de consommer le cannabis

« Le problème de la France, c’est qu’elle est championne d’Europe de la consommation de cannabis, et qu’en plus, on le prend sous sa forme la plus « dégueulasse », affirme le pneumologue. Il n’y a pas de bonne façon de prendre le cannabis, c’est mauvais et je suis contre, mais la façon dont on le consomme en France est la pire de tous ».
Tout d’abord, il y a le mode majoritaire de consommation du cannabis en France sous forme de joint mélangeant résine - essentiellement en provenance du Maroc - et tabac, ce qui induit une exposition non seulement au THC mais aussi à la nicotine du fait du tabac et entretient la dépendance à celui-ci.

« Tous les pneumologues savent que la prise d’un joint le weekend est une source majeure de reprise tabagique car l’addiction à la nicotine chez les anciens fumeurs est bien plus forte que l’addiction au THC du cannabis. Il leur incombe donc de prévenir les rechutes au tabac des personnes sevrées de leurs cigarettes. Fumer des joints de cannabis, même épisodiquement, condamne trop souvent à reprendre de la nicotine avec les effets pervers de dépendance qui y sont liés. »

Herbe ou nicotine ? Conseils pour faire moins pire…
Pour éviter la dépendance nicotinique, notamment chez tout ancien fumeur dépendant au tabac,le médecin peut, à la place, conseiller soit d’utiliser des plantes à fumer– très peu utilisées en France maisqui peuvent être achetées en 2 clics sur internet – ou bien de ne consommer que des feuilles de cannabis (de l’herbe)…en insistant bien entendu sur le fait que l’arrêt de toute consommation est le bon objectif et que cet objectif de réduction du risque n’est qu’un pis-aller.
Le deuxième objectif est de supprimer la fumée. Toujours dans le cadre de la réduction des risques, le médecin peut recommander des systèmes de vaporisation (sans fumée), soit avec de gros vaporisateurs de type Vulcano®, soit avec de petits vaporisateurs portables ressemblant à des e-cigarettes. « Mais au jour d’aujourd’hui, je ne recommande absolument pas de prendre des e-cigarettes au cannabis, précise le Pr Dautzenberg. En Amérique où le cannabis est légalisé dans de plus en plus d’Etats, ce sont surtout les feuilles de cannabis qui sont utilisées (marijuana), et désormais largement remplacées par la vaporisation de formes liquides de cannabis devenue la forme majoritaire d’utilisation du produit. »

Dépénaliser et encadrer intelligemment

Aux Etats-Unis toujours, « la légalisation, quand elle est faite intelligemment, a participé à augmenter l’ordre social, et non à favoriser le désordre social, avec moins de criminalité et une absence de hausse de la consommation » indique le pneumologue.

Aux Etats-Unis, la légalisation, quand elle est faite intelligemment, a participé à augmenter l’ordre social.
Dans les pays développés, il est frappant d’observer que plus la législation est répressive, plus la consommation est importante. En 2014 La France est numéro 1 en Europe avec la Tchéquie avec 46% d’expérimentations et 26% d’utilisations dans l’année (source : Eurobaromètre 2014).

« Je reste persuadé que si l’on sort de la Loi Evin de 1970, totalement prohibitrice pour le cannabis, et si l’on met une règle stricte, alors on va diminuer la consommation de cannabis et on va supprimer les formes les plus dangereuses. On pourra aussi faire de la prévention en milieu professionnel ou scolaire, ce qui est très difficile aujourd’hui. »

Cette dépénalisation encadrée est d’ailleurs en accord avec le souhait des jeunes français. Interrogés dans l’Eurobaromètre cité précédemment, presque aucun ne veut une absence de règle (< 3%), seule une petite minorité des jeunes soutient le maintien du bannissement du cannabis (14%), en revanche, l’immense majorité demande une réglementation du produit (83%), comme cela existe pour le médicament, pour le tabac… Dépénaliser et sortie de la loi ne veut pas dire qu’il n’y a pas de règle, c’est au contraire se mettre dans un circuit bien encadré » considère le Pr Dautzenberg, qui partant d’une position toute personnelle, espère étendre le débat à l’ensemble de la communauté pneumologique lors du prochain congrès qui se tiendra à Lille du 29 au 31 janvier 2016.

Cannabis de synthèse : fortement déconseillé
La commercialisation sur internet, de quelques 130 cannabinoïdes de synthèse avec, pour certains d’entre eux des effets psychotiques puissants, pose problème. Si certains sont interdits, d’autres passent à travers les mailles du filet. Ils se présentent le plus souvent en sachets de plantes à brûler imbibées de cannabinoïdes et se consomment sous forme de joints, exposant à la fumée.

« En l’état actuel des connaissances, on ne peut que déconseiller ces produits ; même s’il est possible que, dans le futur, certains apparaissent comme une réduction du risque par rapport à la résine de cannabis fumée dans des joints avec du tabac » a indiqué le Pr Dautzenberg.
REFERENCE :

Conférence de presse de présentation du Congrès de pneumologie de langue française 2016. 14/01/2016.

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