Plus d’overdoses aux antalgiques opiacés qu’à l’héroïne aux Etats-Unis

Medscape - 30 mars 2016

Atlanta, Etats-Unis -- L’épidémie d’overdoses par opiacés qui frappe les Etats-Unis a atteint un « pic alarmant » selon les Centers for Disease Control and Prevention (CDC). Pour tenter d’endiguer la part croissante due aux médicaments antidouleur, l’agence fédérale de santé publique publie de nouvelles recommandations sur la place des antalgiques opiacés dans le traitement de la douleur chronique [1].
           
Interrogé par Medscape France, le Pr Michel Reynaud, chef du département de psychiatrie et d’addictologie à l’hôpital Paul Brousse (Villejuif) commente la situation : « Aujourd’hui, il y a plus d’overdoses médicamenteuses aux opiacés aux Etats-Unis que d’overdoses par héroïne. Il s’agit d’un problème grave mais compliqué parce qu’il a fallu des années pour obtenir une déstigmatisation des traitements de la douleur. Il ne faudrait pas que le balancier revienne au point de départ. »


Une urgence de santé publique

Les chiffres avancés par les centres fédéraux de contrôle et de prévention des maladies sont alarmants : le nombre d’overdoses mortelles par opiacés est passé de 4400 en 2000, à 16 000 en 2013 et a encore augmenté de 14% en 2014.

Outre les overdoses par héroïne, les surdosages liés aux antalgiques à base d’opiacés auraient été responsables de 165 000 décès entre 1999 et 2014.

Selon les CDC, les prescriptions et les ventes d’analgésiques opiacés ont quadruplé depuis 1999 et 3 à 4 % des adultes américains recevraient des opiacés sur le long terme pour soulager leurs douleurs chroniques.

« Plus de 40 américains meurent chaque jour d’un overdose aux analgésiques opioïdes, nous devons réagir maintenant. La sur-prescription d’opioïdes, en grande partie pour soulager la douleur chronique, est un des éléments clés de l’épidémie d’overdoses aux Etats-Unis. Ces recommandations donneront aux médecins et aux patients les informations dont ils ont besoin pour prendre des décisions éclairées concernant les traitements », a indiqué le Pr Tom Frieden, Directeur des CDC, dans un communiqué de presse [2].

Les « petites » chirurgies montrées du doigt


Les nouvelles recommandations des CDC sont publiées dans le JAMA au côté de deux articles mettant en lumière des cas courants de « mauvaise pratique » [3,4].

Le premier papier montre qu’aux Etats-Unis, les dentistes sont parmi les plus grands prescripteurs d’antalgiques opiacés. Sur plus de 2 700 000 patients qui ont subi une extraction dentaire, 42 % avaient une prescription d’antalgique opiacé (78% d’hydrocodone, 15% d’oxycodone, 3,5% de propoxyphène, 1,6% de codéine) dans les 7 jours suivant l’intervention ; une proportion « disproportionnée », selon les chercheurs.

Le second papier montre que parmi 155 000 patients, naïfs aux opiacés, ayant eu recours à intervention chirurgicale à faible risque (canal carpien, cholécystectomie laparoscopique, hernie inguinale ou arthroscopie du genou), 80 % ont reçu des antalgiques opiacés dans les 7 jours suivant l’intervention. En outre, ils signalent que depuis 2004, le nombre de prescriptions a régulièrement augmenté.

Nouvelles recommandations des CDC

 

Les nouvelles recommandations des CDC donnent des directives sur la place des opiacés dans le traitement de la douleur chronique (douleur de plus de 3 mois ou dépassant le temps habituel de guérison). Elles ciblent les médecins de soins primaires, « à l’origine de près de la moitié des prescriptions d’opiacés chez les adultes souffrant de douleurs chroniques en ville. »

Le texte n’aborde pas le rôle des antalgiques opiacés chez les patients cancéreux, en soins palliatifs et en de fin de vie.

Le document des CDC rappelle :

 

- que les bénéfices à long terme des antalgiques opioïdes pour traiter la douleur chronique n’ont pas été clairement établis ;

-qu’à court terme, les bénéfices sont « faibles à modérés » et que la fonction n’est pas améliorée ;

-que les preuves concernant leur intérêt à long terme dans la lombalgie, les céphalées et la fibromyalgie sont insuffisantes.

Parmi les 12 recommandations émises pas les CDC, trois principes sont mis en avant.

Tout d’abord, les stratégies thérapeutiques sans opiacés sont à utiliser en première ligne, en dehors du cancer, des soins palliatifs et des soins de fin de vie.

Parmi les stratégies à tester en premier, les CDC listent :

-les antalgiques non-opioïdes (AINS, antidépresseurs tricycliques, inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, antiépileptiques) ;

-les traitements physiques (exercice, perte de poids…) ;

-les thérapies comportementales (thérapie cognitive comportementale…)

-certaines procédures comme les infiltrations intra-articulaires de corticoïdes.

Second grand principe, lorsque les opioïdes sont utilisés, les opiacés d’action courte doivent être privilégiés à la dose minimale efficace possible pour limiter les risques de dépendance et de surdosage.

Enfin, les médecins doivent toujours être extrêmement prudents lorsqu’ils prescrivent ce type de traitement (évaluation des risques de mésusage, tests urinaires…) et doivent assurer un suivi très strict de leurs patients (première consultation de suivi entre 1 et 4 semaines puis visites de contrôle espacées de moins de 3 mois). L’efficacité antalgique du traitement doit être réévaluée régulièrement.

Pour aider les praticiens, les CDC ont élaboré une « checklist » d’aide à la prescription.

Prescription sécurisée en France mais…

 

En France, la prescription des antalgiques opiacés et des traitements de substitution à l’héroïne se fait sur ordonnance sécurisée, ce qui limite les risques.

Toutefois, le risque de voir arriver une telle épidémie n’est pas nul, selon le Pr Reynaud. « Je pense que nous allons voir arriver ces problèmes chez nous, notamment chez les personnes âgées. A l’avenir, il va falloir que les gériatres aient une dimension addictologique. »

REFERENCES:
1.CDC. Dowell D, Haegerich T, Chou R. CDC Guideline for Prescribing Opioids for Chronic Pain. 15 mars 2016
2.Communiqué CDC. CDC releases guidelines for prescribing opioids for chronic pain. 15 mars 2016.
3.Bateman B. et coll. High percentage of patients prescribed opioids following tooth extraction. JAMA en ligne, 15 mars 2016
4.Wunsch A et coll. Study examines trends of commonly-prescribed opioids after low-risk surgical procedures in the US. JAMA en ligne, 15 mars 2016.

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