Les cannabis de synthèse qui envoient les jeunes américains aux urgences arriveront-ils en France ?

Medscape France - 30 oct. 2014

Aude Lecrubier - Etats-Unis, France : Le nombre de visites aux urgences en raison des effets délétères des cannabinoïdes de synthèse a augmenté de 11 406 en 2010 à 28 531 en 2011 aux Etats-Unis, selon la Substance Abuse and Mental Health Services Administration (SAMHSA) [1].
Une petite proportion par rapport aux 1,2 millions de visites aux urgences associées à la consommation de drogues en 2011, mais un doublement des cas, tout de même, en seulement un an…Une croissance qui se poursuit depuis quelques années Outre-Atlantique. « Les cannabinoïdes de synthèse sont un problème de santé publique en plein essor. Ils sont d’autant plus dangereux qu’ils sont considérés, à tort, comme surs et légaux », a commenté Pamela S. Hyde dans un communiqué de la SAMHSA.


100% synthétiques, fortement dosés, effets secondaires sévères

Les cannabinoïdes de synthèse ne sont pas des dérivés du cannabis ou de la marijuana. Les produits commercialisés, connus sous les noms de K2, Spice, Aroma, Mr Smiley, Zohai, Eclipse, Black Mama, Red XDawn, Blaze, Dream… se présentent sous forme de plantes à fumer ou de poudre. Ils contiennent des cannabinoïdes de synthèse qui copient les effets euphoriques et psychoactifs du delta-9- tétrahydrocannabinol (THC), le principe actif du cannabis naturel.

En se basant sur les saisies douanières, plus de 80 substances différentes de la famille des cannabinoïdes de synthèse ont été identifiées en Europe en mai 2013.

Les cannabinoïdes de synthèse sont plus puissants, plus dangereux et plus addictifs que le cannabis naturel. Une des raisons invoquées est leur contenu en agonistes des cannabinoïdes qui ont une plus forte affinité pour les récepteurs cannabinoïdes CB1 et CB2 que le THC du cannabis naturel. Parallèlement, contrairement au Spice, le cannabis naturel contient du cannabidiol, connu pour ses propriétés antipsychotiques.

Signes de toxicité


Parmi les effets secondaires des cannabinoïdes de synthèse, on note, des cas d’agitation sévère, de l’anxiété, des nausées, des vomissements, de la tachycardie/palpitations, de l’hypertension, des tremblements, des convulsions, des hallucinations, des comportements paranoïaques, de l’apathie, des états de manque et même 3 cas d’infarctus du myocarde, 16 cas d’insuffisance rénale aigüe et 3 décès.


Indétectable par les tests de dépistage du cannabis


Les cannabinoïdes de synthèse ne sont pas détectables par les tests de dépistage classiques, ce qui les rend d'autant plus populaires chez les jeunes.

Chez les adolescents de 12 à 17 ans, les visites aux urgences impliquant la consommation de cannabinoïdes de synthèse ont doublé de 3780 en 2010 à 7584 visites en 2011. En outre, chez les 18-20 ans, le nombre de visites a quadruplé : de 1881 visites en 2010 à 8212 visites en 2011.

Plusieurs études épidémiologiques américaines ont rapporté une consommation de 8 à 14% chez les étudiants.

Confirmant les conclusions d’une récente étude publiée dans Drug and Alcohol Dependence, les données de la SAMHSA montrent que les principaux consommateurs sont masculins (79%, soit 19 923 visites aux urgences). Toutefois, le nombre de femmes concernées a triplé entre 2010 et 2011.

Les cannabis de synthèse qui envoient les jeunes américains aux urgences arriveront-ils en France ?
En France, l’arrivée de ces produits est surveillée de près

En France, le problème n’a pas pris la même ampleur qu’aux Etats-Unis mais est étudié de près, selon le Pr Amine Benyamina, responsable de l'unité fonctionnelle d'addictologie de l'Hôpital universitaire Paul-Brousse à Villejuif.

A ce jour, le nombre de consommateurs reste difficile à estimer mais l’ANSM signalait récemment que le nombre de sites de vente en ligne identifiés en Europe était passé de 170 en 2010 à 693 en 2012, signe d’un marché porteur...

Une enquête présentée aux 8èmes Ateliers de la Pharmacodépendance à Biarritz ces derniers jours, à partir des données recueillies entre mars et avril 2013 dans un centre de dépistage anonyme et gratuit du VIH de Paris montre que le phénomène reste cependant assez restreint dans l’Hexagone [2].

Sur 567 répondants de 30+/- 9 ans en moyenne, seuls 1% déclarent consommer des cannabinoïdes de synthèse vs 30% pour le cannabis.

En outre, selon l’étude pharmacoépidémiologique transversale annuelle nationale OPPIDUM, sur les 10 727 substances psychoactives consommées dans les 168 centres spécialisés dans la prise en charge des addictions investigués au cours de 2013 (62 départements, 5245 sujets), seuls 151 cas de consommations de drogues de synthèse ont été décrits dont 4 de cannabinoïdes de synthèse.

En termes de problèmes de santé publique, aucun cas n’a été rapporté en France dans le cadre de l’enquête DRAMES, selon un rapport de l’ANSM du 20 juin 2013 [3]. Six cas ont été notifiés par le réseau CEIP-A en 2011 et 2012 portant sur 7 cannabinoïdes de synthèse différents. Deux nouveaux cas ont été rapportés entre octobre 2012 et mai 2013.

Dans son rapport de juin 2013, la Commission des stupéfiants et psychotropes de l’ANSM a émis un avis favorable à l’unanimité à la proposition d’inscription sur la liste des stupéfiants de 7 familles chimiques de cannabinoïdes de synthèse.



REFERENCES:
1 - http://www.samhsa.gov . Emergency department visits linked to “synthetic marijuana” products rising. 16 octobre 2014

2 - A. Batisse, C. Segouin, C. Chevallier, M. Marillier, S. Djezzar. Profil d’usage de substances psychoactives dans un centre de dépistage anonyme et gratuit de Paris. CEIP Ile-de-France-Centre, GH Lariboisière-Fernand Widal, CDAG, GH Lariboisière-Fernand Widal. 8èmes Ateliers de la Pharmacodépendance, Biarritz 27 et 28 octobre 2014.

3 -ANSM. Commission des stupéfiants et psychotropes. Séance 3, 20 juin 2013.

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