Impact négatif du cannabis lors d’un premier épisode de psychose

Medscape - 16 mars 2016

Aude Lecrubier, Megan Brooks
Londres, Royaume-Uni – Etre consommateur de cannabis au moment d’un premier épisode psychotique est un facteur de mauvais pronostique à moyen terme, selon une vaste étude rétrospective anglaise [1].
On sait que le cannabis est associé à un risque accru de développer une psychose mais, jusqu’à présent, les effets du cannabis sur le devenir d’une psychose ont été peu étudiés, explique le Dr Rashmi Patel (King’s College, Londres) pour Medscape Medical News.


D’après les chercheurs du King’s College, dans les 5 années suivant le premier épisode de psychose, les usagers de cannabis sont hospitalisés plus souvent et plus longtemps que ceux qui n’en consommaient pas.

« Les moins bons pronostics chez les consommateurs de cannabis pourraient résulter de l’échec ou de la moindre efficacité des traitements antipsychotiques », a commenté l’auteur principal, le Dr Rashmi Patel (King’s College, Londres) pour Medscape Medical News.

« Ces résultats soulignent l’importance de diminuer la consommation de cannabis chez les patients souffrant de psychose débutante afin d’optimiser la réponse potentielle au traitement » explique-t-il.

L’étude a été publiée dans l’édition en ligne du 3 mars du BMJ Open.

Le cannabis contribue-t-il à l’échec thérapeutique ?

Dans cette nouvelle étude, les chercheurs ont analysé les dossiers électroniques de 2026 adultes traités pour un premier épisode de psychose dans un des plus grands centres de santé mentale européen (South London and Maudsley National Health Service Foundation :SLaM NHS) entre 2006 et 2013. Le suivi était de 5 ans.

Lors de la présentation pour un premier épisode de psychose, l’usage de cannabis était notifié dans les dossiers de 939 patients (46,3%), ce qui confirme le lien fort entre le cannabis et l’apparition de la psychose déjà observé dans d’autres études.

La prévalence de la consommation de cannabis était particulièrement élevée chez les jeunes hommes célibataires (16-25 ans).

L’usage de cannabis était associé à une augmentation du nombre d’hospitalisations (taux d’incidence 1,50, IC 95% [1,25 à 1,80], et notamment des hospitalisations sous contrainte (RR=1,55 ; IC 95% [1,16 à 2,08].
En outre, la consommation de cannabis était associée à un séjour prolongé. Au cours du suivi, la durée moyenne d’hospitalisation des patients ayant rapporté une consommation de cannabis (vs non consommateurs) passait de 21 jours supplémentaires au bout de 3 ans à 35 jours de plus au bout de 5 ans.

L’analyse des dossiers a également montré que les usagers de cannabis recevaient plus souvent de la clozapine, un antipsychotique utilisé par les patients schizophrènes difficiles à traiter. Ils avaient aussi reçus plus d’antipsychotiques (jusqu’à 11), un signe d’échecs thérapeutiques répétés, d’après les chercheurs.

A leur connaissance, « il s’agit de la première étude publiée à démontrer que l’effet délétère du cannabis pourrait être médié par l’échec des traitements antipsychotiques. »

En raison du caractère observationnel de l’étude, le lien de causalité ne peut être clairement établi. Toutefois, les chercheurs notent que leurs résultats « soulignent l’importance d’évaluer la consommation de cannabis chez les personnes traitées pour des troubles psychotiques » et qu’ils devraient « inciter à la réalisation de nouvelles études pour tenter de comprendre pourquoi les résultats des patients consommant du cannabis sont mauvais et comment réduire les risques associés. »

Des biais mais une conclusion probablement juste…         

Interrogé par Medscape édition française, le Pr Amine Benyamina (Département de psychiatrie et d’addictologie, responsable du centre d’addictologie, hôpital Paul Brousse, Villejuif) note que l’étude n’est pas exempte de biais. « Les associations observées sont fragiles car les auteurs n’ont pas pris en compte le rôle de la génétique, de l’environnement, des éventuelles interactions avec d’autres substances, de l’observance aux traitements en dehors de l’hôpital, et de la poursuite ou non de la consommation de cannabis suite à l’admission. »

« Globalement, il s’agit d’une étude observationnelle qui a comme force sa grande taille mais dont la méthodologie n’est pas parfaite notamment sur le plan des variables choisies », souligne le psychiatre-addictologue.

S’il n’est pas possible de tirer des conclusions fermes de l’étude, le Pr Benyamina ne remet toutefois pas en cause son rationnel.

« Dans notre pratique clinique, nous voyons bien que les patients consommateurs de cannabis ont une réactivité aux antipsychotiques qui est moindre. Cela a également été montré en pharmacologie sur des modèles bien précis. Si l’on part de l’hypothèse que le cannabis est perçu comme un xénobiotique, il est logique qu’il puisse limiter le rôle de certaines molécules ou de certains cytochromes et ainsi modifier le métabolisme ou la biodisponibilité des traitements antipsychotiques », conclut l’expert.



L’étude n’a pas reçu de financements spécifiques. Plusieurs auteurs ont déclaré avoir reçu des financements pour leurs recherches de l’industrie, notamment de Roche, Pfizer, Johnson & Johnson et Lundbeck, Janssen, Sunovion, et GW pharmaceuticals. Le Pr Benyamina collabore avec les laboratoires Servier, Lundbeck, Merck, Astrazeneca, RB pharmaceuticals, Otsuka pharmaceuticals France.


REFERENCE :
1.Rashmi Patel et coll. Association of cannabis use with hospital admission and antipsychotic treatment failure in first episode psychosis: an observational study. BMJ Open 2016;6:e009888

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