Sevrage tabagique : l’arrêt brutal plus efficace que l’arrêt progressif

Medscape - 18 mars 2016

Stéphanie Lavaud
Oxford, Royaume-Uni – Quand il s’agit de se sevrer du tabac, mieux vaut arrêter la cigarette d’un coup que progressivement – tout en s’aidant de substituts nicotiniques si besoin. C’est en tout cas ce que semble indiquer une étude anglaise portant sur 697 fumeurs, dans laquelle les chances d’être abstinent à 4 semaines étaient 25% plus importantes en cas d’arrêt définitif un jour donné. Les résultats ont été publiés dans Ann Intern Med [1].

Stop ou encore (un peu) ?

 

Quand il s’agit d’en finir avec une addiction, la rupture radicale avec l’objet du plaisir est-elle plus efficace que la consommation à petites doses ? Dans le cas du tabac, la question est loin d’être tranchée et la littérature peu consensuelle. Classiquement, on conseille aux candidats à l’arrêt de choisir un jour et de stopper définitivement la cigarette, et, en général, les recommandations officielles vont plutôt dans ce sens. Néanmoins, en pratique, les fumeurs rapportent plutôt un sevrage progressif. Une revue Cochrane a, quant à elle, montré peu de différences entre les deux approches. D’où l’idée de chercheurs anglais, spécialistes de la question, de conduire une étude dont le protocole permettrait de s’affranchir des biais et de discriminer entre les deux options afin de déterminer la plus efficace.


Pour ce faire, Nicola Lindson-Hawley (Université d’Oxford, Royaume-Uni) et coll. ont recruté des fumeurs accros au tabac fumant soit au moins 15 cigarettes par jour, soit 12,5 grammes de tabac à rouler quotidiennement ou bien présentant des taux de monoxyde de carbone (NO) expiré supérieur à 15 ppm. Les candidats à l’arrêt ont été assignés de façon aléatoire :

- soit à un groupe qui arrêterait brutalement la cigarette 15 jours après l’entrée dans l’étude,
- soit à un groupe qui adopterait un sevrage progressif – en diminuant de moitié au cours de la 1ère semaine, puis d’un quart lors de la seconde – dans le même délai.

Pendant ces 15 jours précédant l’arrêt, le groupe « progressif » s’est vu proposé des traitements nicotiniques substitutifs (TNS) et des patchs, alors que le groupe « arrêt brutal », à qui il était proposé de continuer à fumer comme d’habitude jusqu’à la date fixée, n’a lui reçu que des timbres à utiliser juste avant l’arrêt. En revanche, après la date d’arrêt, les deux groupes ont bénéficié de conseils pour changer leurs comportements, des patchs nicotiniques (21g/24h) et de TNS à courte durée d’action (gommes, comprimés à sucer, spray nasal, inhalateurs). Ils avaient par ailleurs accès à du personnel infirmier, avant, pendant et après l’arrêt. Enfin, les participants étaient encouragés à utiliser des TNS en anticipation ou en réponse aux symptômes de sevrage.

Le critère primaire était défini par une abstinence validée (par mesure de la cotinine salivaire et du NO exhalé) à 4 semaines mais les chercheurs ont aussi évalué l’abstinence à 6 mois et se sont intéressés aux résultats en fonction des préférences affichées des patients (dont l’assignation aléatoire, bien sur, ne tenait pas compte).

39,2% versus 49,0%

Sur les 1097 personnes recrutées, 697 ont été assignées de façon aléatoire entre le groupe « arrêt progressif » (342) et « arrêt brutal » (355) par 23 infirmier/ère répartis sur 31 centres de soins de premier recours. Les patients étaient âgés de 49 ans en moyenne, les deux sexes étant représentés à égalité, fumaient 20 cigarettes quotidiennement, avaient un score de 6 au test de Fagerström indiquant un niveau élevé de dépendance. Enfin, 94% étaient d’origine caucasienne.

A 4 semaines, tel que défini par le protocole, le critère primaire d’abstinence a été atteint par 39,2% (IC : 34,0 % - 44,4%) des personnes du groupe « arrêt progressif » et 49,0% (IC : 43,8% - 54,2%) de celles du groupe « arrêt brutal », ne permettant de montrer la non infériorité fixée par les auteurs – correspondant à une réduction de 19% (RR : 0,80) d’efficacité de l’arrêt « brutal » par rapport à l’arrêt « progressif ». Néanmoins, après ajustement, l’abstinence était significativement moindre dans le groupe « arrêt brutal » (RR : 0,80 [IC95% : 0,66 à 0,93]).
Le critère secondaire à 6 mois indique lui aussi une supériorité du groupe « arrêt brutal » versus « progressif », avec respectivement, 22,0% (IC95% : 18,0% - 26%) versus 15,5% (IC95% : 12,0% - 19,7%) de sevrage et un risque relatif de 0,71 (IC95% : 0,46% - 0,91%).

La motivation guide le mode d’arrêt

Interrogés à l’inclusion dans l’étude sur leurs préférences quant à la méthode de sevrage, 16,9 % des candidats à l’arrêt ont déclaré n’en avoir aucune, 32,1% auraient choisi l’arrêt brutal et 50,9% auraient opté pour l’arrêt progressif. De façon intéressante, les patients qui déclaraient préférer l’arrêt progressif étaient moins susceptibles d’être abstinent à 4 semaines que ceux qui auraient opté pour l’arrêt brutal (38,3% vs 52,2% ; p = 0,007).

« Nous avons clairement montré que l’arrêt brutal était supérieur en termes d’efficacité de sevrage tabagique à moyen et court terme. L’adhésion aux instructions sur les modifications de comportements et aux TSN a été bonne et les médicaments bien tolérés, concluent les auteurs, qui ajoutent que les participants qui préfèrent l’arrêt progressif sont moins susceptibles de réussir leur sevrage, quelle que soit la méthode qui leur a été assignée ». A cela, ils proposent deux explications : arrêter progressivement demande un certain cadre, comme se fixer une date d’arrêt et des objectifs de réduction tabagique, que les personnes qui décident d’arrêter sans soutien auront du mal à déterminer pour elles-mêmes. Autre explication, peut-être la plus évidente, la motivation guide le mode d’arrêt et les moins motivés préfèrent un arrêt progressif.

Au final, pour les auteurs, ces résultats devraient inciter à encourager les candidats à l’arrêt à opter pour une méthode de sevrage définitive au jour J, sans hésiter à avoir recours aux TSN et à se faire accompagner.

A adapter en fonction du profil du fumeur ?

Une étude française parue dans le BEH l’an dernier a cherché à établir le profil des candidats au sevrage susceptibles de choisir l’arrêt progressif en se fondant sur les données de suivi de 28 156 fumeurs adultes reçus en consultation de tabacologie entre 2007 et 2010 [2]. Après avoir établi que seuls 4,4% des fumeurs avaient arrêté progressivement contre 48,7% qui avaient stoppé sans réduction préalable, l’analyse a établi que les « progressifs » étaient les fumeurs présentant le profil initial le plus sévère (âge ≥45 ans, une forte consommation tabagique initiale, aucune tentative antérieure d’arrêt, une faible confiance en leur capacité d’arrêt). Chez ces derniers, « l’arrêt progressif permettrait d’obtenir des taux d’abstinence similaires à ceux ayant arrêté sans réduire, ont conclu les auteurs. Toutefois, un suivi intensif associé à un traitement adapté semble indispensable pour le succès d’une démarche d’arrêt progressive ».
L’étude a été financée par la British Heart Foundation (PG /08/047/25082).

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REFERENCES :
1 - Lindson-Hawley N, Banting M, West R, et al. Gradual Versus Abrupt Smoking Cessation: A Randomized, Controlled Noninferiority TrialGradual Versus Abrupt Smoking Cessation. Ann Intern Med. Published online 15 March 2016 doi:10.7326/M14-2805
2 - Baha M, Le Faou AL. L’arrêt progressif du tabac en consultation de tabacologie en France entre 2007 et 2010, une option efficace pour les gros fumeurs. BEH, 29 mai 2015.


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